Les éditions Héloïse d’Ormesson ont créé une nouvelle rubrique « Trois questions à« , dans laquelle un libraire pose trois questions à une romancière. Véronique Biefnot inaugure cette rubrique en répondant aux questions de Chantal Manguy de la librairie des Halles-Couhé.
1) Vous abordez le paranormal dans votre roman: animal totem, rêves et visions, télépathie, le chat et ses « pouvoirs »… Est-ce un sujet que vous affectionnez tout particulièrement ? Là où la lumière se pose est-il uniquement un roman détente ou bien un roman message suite à une quête spirituelle ?
Il est vrai que j’ai toujours aimé cette vision légèrement « décalée » des choses et du réel, même si, au terme de » paranormal », je préfère celui de « réalisme magique ».
En tant que lectrice, et surtout à l’adolescence, j’ai affectionné les auteurs qui se promènent un peu en marge de l’évidence. Il est donc probablement normal que, passant à l’écriture, j’emprunte les mêmes chemins de traverse.
Néanmoins, cette dimension, si elle est effectivement présente dans mes cinq premiers romans, ne le sera pas nécessairement dans mes autres écrits à venir, cela dépendant fortement du sujet traité.
Dans la trilogie » Comme des larmes- Les Murmures -Là où « , cette donnée spirituelle fait partie intégrante du cheminement de Naëlle. Ce personnage ( dont j’ai bien du mal à me détacher ) a, en effet, dû avoir recours à tous les moyens dont elle disposait pour survivre et se reconstruire ensuite, physiquement, mais aussi et surtout psychologiquement. lorsque j’ai eu envie de raconter l’histoire de Naëlle, je me suis dit que cette évolution serait possible si elle faisait preuve d’une étonnante force de caractère d’une part, et si, d’autre part, il lui était donné de rencontrer les bonnes personnes pour l’aider ( Simon, Maria, Nicolas, le chat et Nicolas, le chimiste, Manko, les guérisseurs andins…etc ).
Cette trilogie est, avant tout, une lecture récréative. Mais, comme vous l’avez souligné, ces trois récits m’ont amenée à sérieusement me documenter sur les différents aspects abordés. Et ce fut une des parties les plus passionnantes de ce travail ! Je trouve en effet qu’une lecture, même si elle a pour objectif premier de détendre et divertir, peut aussi – et c’est un grand plus- amener le lecteur à se poser quelques questions… à revoir éventuellement son jugement sur certaines choses… à désirer se documenter à son tour… C’est en tout cas ainsi que je conçois, pour ma part, la lecture, même ludique.
Maintenant, au-delà de cet aspect un peu « technique » de l’écriture, j’ai eu, personnellement, l’occasion de toucher du bout des doigts un certain rapport « alternatif » avec le réel. L’histoire de Naëlle n’est en aucun cas autobiographique ( heureusement pour moi …) et ce personnage relève totalement de la fiction. Néanmoins, tout auteur étant une éponge, elle et son histoire sont nourries d’une quantité d’informations, d’observations, d’expériences, d’influences… emmagasinées, consciemment ou pas, au fil des ans. Ainsi, par exemple, les voyages chamaniques que j’ai décris sont la transcription assez fidèle de voyages » en état de conscience modifiée » que j’ai eu l’occasion de vivre. C’est une expérience que j’ai faite dans des circonstances assez pénibles : ma mère étant en phase terminale de son troisième cancer il y a quelques années; ayant épuisé tous les traitements qu’offrait la médecine traditionnelle, j’ai voulu tenter de l’aider en abordant d’autres approches. J’ai donc fait ces voyages chamaniques dans un but thérapeutique et sans avoir recours à aucune drogue ( 🙂 …il existe en effet d’autres moyens pour parvenir à cet état d’auto-hypnose, pour peu qu’on y soit sensible ). Si ces tentatives n’ont malheureusement pas permis de sauver ma mère, elles m’ont en revanche sensibilisée à cette approche spirituelle et globale de l’être humain et de ses dis-dinctionnements. D’autre part, en version plus soft, j’ai fait appel, avec un total bonheur cette fois, aux techniques de sophrologie, relaxation, méditation, aptonomie…etc, lors de mes accouchements.
Donc, oui… je crois que l’être humain ne se limite pas à une collection d’organes plus ou moins opérationnels et que, sans soigner son esprit, on ne peut traiter complètement son corps. Et, pour en revenir à Naëlle, dont le démarrage dans la vie a été si houleux et difficile, il me semblait évident que c’était par l’esprit qu’il fallait commencer. J’ai aimé créer ce personnage à la double appartenance, tant physique que psychologique, déterminée à surmonter les obstacles, à transformer ces mauvaises cartes, reçues à la naissance, en atout, déterminée à avancer de l’ombre vers la lumière !
Quant à Nicolas ! Et bien … laissons planer le doute et parlons de vraie magie – ou de la simple et magnifique empathie – que les animaux peuvent manifester à l’égard des humains. Le chat Nicolas, élément essentiel de cette trilogie, résulte du mélange heureux de deux chats avec qui j’ai eu le bonheur de vivre. Les particularités physique de l’un( réellement étonnantes) et l’incroyable clairvoyance attentive de l’autre m’ont permis de créer ce personnage à part entière. Mais d’une manière générale, les animaux et la nature occupent une place prédominante et essentielle dans tout ce que j’écris. De nouveau, alimentée par des expériences personnelles, par des intuitions ou par des désirs, je crois que l’animal est notre plus fidèle allié dans notre rapport avec nous-même. Et qu’il est toujours dangereux de s’écarter de ses racines et de ce que nous apprennent et nous communiquent, en permanence, la nature et les animaux.
2) Études psychologiques, sectes, incestes, mutilations, meurtres, vol d’œuvres intellectuelles, opposition entre être et paraitre, détresse d’une jeunesse face à un avenir incertain et sans idéal… Les thèmes abordés sont nombreux. Les personnages surmontent toutes les difficultés. Là où la lumière se pose est-il un roman cathartique, un moyen d’évacuer la tension induite par le matraquage médiatique international des faits divers ?
Oui. Très certainement. Comme la plupart des personnes raisonnablement sensibles, j’ai un peu de peine à affronter le matraquage médiatique continuel. D’autant qu’on peut percevoir assez rapidement que ces informations ne sont, le plus souvent, que les pions d’un échiquier bien plus vaste, faisant de nous d’éternels pantins tiraillés par d’intenses émotions, avertis de drames auxquels nous ne pouvons rien.
Ainsi, telle ou telle information sera judicieusement mise en avant pour détourner provisoirement l’attention de tel ou tel événement et, de la même façon, disparaîtra de la une des médias dès que sa présence ne sera plus nécessaire. C’est une manipulation dont nous sommes tous conscients ( je l’espère) mais qui, néanmoins, régit notre environnement médiatique.
En ce qui concerne la trilogie, les thèmes abordés tirent leur origine de faits divers malheureusement présents dans l’actualité où, souvent, on peut constater que la réalité dépasse la fiction. Je n’ai, en aucun cas, voulu faire de sensationnalisme.
Que ce soit en abordant les sujets difficiles de l’abus de pouvoir sous toutes ses formes, de l’inceste, de la manipulation ou des sectes, j’ai voulu, à la fois ( et très modestement ! ) ramener toujours le débat vers l’individu et son histoire personnelle( et ne pas généraliser ou théoriser, ce n’est pas mon propos et je n’ai jamais eu la prétention de pouvoir le faire)…et, dans le même temps, tirer ces histoires vers le mythe.
De tous temps, la mythologie a en effet permis aux hommes de donner une image à l’innommable, de mettre des mots sur les peurs.
J’aime penser que Naëlle et les épreuves qu’elle traverse ont cette dimension. Le propos général de ce long récit en trois étapes, est de raconter comment ce personnage surmonte les drames qui ont jalonné sa vie, sans avoir besoin de béquilles, en puisant dans ses ressources personnelles et avec l’aide de belles rencontres, alors que d’autres (sa soeur par exemple) n’y sont pas parvenus. J’ai envie de supposer qu’on peut modifier la donne, que des enfants abusés ne deviennent pas nécessairement des abuseurs, que le libre arbitre existe, même si ce n’est pas le chemin le plus évident et le plus simple. J’ai envie de penser que ce n’est pas de l’optimisme béat.
3) Dans ce troisième volume, Naëlle –qui accepte sa féminité-masculinité, toujours entre émotion et action, entre sensibilité et force – mord la vie à pleines dents. Naëlle, hymne à la vie, vous ressemble-t-elle, vous qui menez de front des carrières de comédienne, metteur en scène, peintre et auteur ? Représente-t-elle une nouvelle génération de femme « androgynes » qui font de leur sensibilité leur force ?
Ici, vous abordez l’autre point important de la trilogie : l’appartenance à un genre dépend-t-elle de la biologie, de la culture, de l’éducation, des attirances, de l’apparence ?
Lorsque j’ai entamé ce long récit, il y a 5 ans, cette question ne faisait pas l’actualité, il en est autrement aujourd’hui et c’est heureux.
Naëlle n’est pas le porte-drapeau d’une idéologie ou de revendications quelconques. Dans une vision chimérique et mythologique, elle peut être la représentation de questionnements que chacun, à des moments divers de son existence, a pu être amené se poser. Même si sa nature et son parcours en font une représentante extrême et sans trop révéler ce qui la caractérise ( pour ne pas frustrer des lecteurs ne connaissant pas la trilogie et désirant la découvrir 🙂 je peux dire qu’elle m’a permis d’aborder ce sujet, de me demander ce qui, aux yeux des autres et aux siens, pouvait constituer sa féminité. La question étant tout aussi évidente quant à la part masculine en chacun de nous. Au-delà du personnage, il me semble que les individus, homme ou femme, les plus intéressants, les plus humains, les plus touchants, sont ceux qui ont réussi à équilibrer ces deux moitiés de leur être, à conjuguer émotion/sensibilité et action/force, masculin et féminin.
Quant à savoir si mon côté » touche à tout » me rapproche de Naëlle et de son énergie, je suis assez mal placée pour y répondre.
Être comédienne, metteur en scène, peintre et auteur me permet en tout cas d’aborder sous différents angles les émotions que j’ai envie de partager. Cette polyvalence m’a, plus d’une fois, donné l’occasion de constater qu’on n’attribue pas nécessairement aux » créations » ( qui relèvent plus, selon moi de l’artisanat que de l’art) la même appartenance sexuelle qu’à leur « créateur ». Ainsi, ma peinture ou, par certains côtés, mon écriture, peuvent parfois sembler plus masculines que celles de certains de mes confrères, dont le travail peut être considéré comme étant délicat ou poétique et, par là même, dans l’inconscient, plus féminin. En résume, durant l’écriture de cette trilogie, « l’animal profondément curieux de tout « que je suis, ne pouvait qu’être tenté par l’exploration de cette vision élargie, tolérante et, au final, joyeuse, du couple et de l’amour. Je suis infiniment ravie que cette longue marche en compagnie de Naëlle, de l’ombre à la lumière, ait eu le bonheur de vous plaire !